Mon objectif est enfin atteint. Ces idiots. Ils m’ont laissé gagner la confiance du peuple. Ils m’ont laissé diriger leurs armées. Ils m’ont laissé conquérir leurs ennemis. Ils m’ont laissé les dominer. Et à la fin, ils m’ont laissé prendre leur vie. Ils avaient été beaucoup trop faibles pour opposer la moindre résistance durant tout ce temps, mon plan se déroulait à la perfection. Des années de lutte pour sortir des bas fonds de la Capitale. Des années de lutte à faire mes classes militaires. Des années de lutte dans ce monde perdu, à dompter les pouvoirs de ce démon. Des années de lutte à organiser mon arrivée au pouvoir. Tout cela se termine. Commence maintenant mon règne. Celui de l’Empereur Nashar 1er.
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Mon règne, en tant que réel Empereur de Valice, fut doux. Je réorganisai la vie de mon Empire avec tranquillité. Bien sûr, l’opposition était tenue de ne pas s’exprimer. On ne pouvait rebâtir dans la lumière sur des fondations entachées. Les vieillards ne me faisant plus d’ombre, je peux dorénavant reprendre mes ambitions. La paix.
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Nos jeux sont de plus en plus serrés. Peut-être est-ce dû à l’émergence de mes deux autres formes ? Qui sait. Toujours est-il que je suis maintenant son égal. Je la hais comme je la déteste. Je ne fais que m’amuser. Car bientôt, mon exil se termine.
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L’un après l’autre, il ployait le genou face à moi. Nous l’avions tous compris en même temps, mais l’Ombre protégeait le monde. Il le protégeait de fous tentant de le conquérir. Il le protégeait de moi. Et ces idiots m’ont aidé à m’en débarrasser.
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Pourtant, du fond des quartiers pauvres, la vie au palais paraissait idyllique. Manger tous les jours, eau propre, froide ou chaude à volonté, des gens qui travaillent pour soi et de bonnes odeurs tout au long de la journée. C’était cela que je m’imaginais, lorsque je passais sur scène pour distraire les petits aristocrates. À y repenser, aucun d’eux ne m’écoutait à ce moment-là. Trop occupé à observer les autres pour m’entendre moi. J’y avais gâché de belles chansons. Les choses n’ont pas beaucoup changé. Que l’on soit pauvre ou Empereur, l’admiration ne peut être atteinte que d’une façon. La peur. Et à mon grand désarroi, j'admirai énormément l'Ombre, et les choses qu'elle pouvait faire à mes proches.
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Démon. Je t’ai offert mon âme. Démon. Je t’ai appelé. Démon. Ce pouvoir que tu m’as donné vient avec ton avidité pour le sang et la violence. Démon. Je ne le regrette pas, car il me sera utile pour accomplir mes objectifs. Démon. Je suis à toi, mais ne suis-je pas en train de devenir toi ?
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Les traîtres et les partisans de l’ancien régime sont exécutés par mes soins. La peur, le respect, l'admiration. Ce sont des choses que je dois inspiré dès le début de mon règne. Je suis totalement libre d’agir maintenant. Plus de mission d’assassinat, plus de directive à suivre, plus de compte à rendre à qui que ce soit. Je suis seul et au pouvoir. Valice m’appartient, et bientôt le monde suivra.
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La musique s'arrête. On m'applaudit. D'un sourire charmeur, je sors de la scène pour me réinstaller sur mon balcon. Le bruit des mains se percutant continue. Encore. Et encore. Jusqu'à ce que je les fasse taire, d'une simple perte de sourire. Ces rats. Aucun d'eux n'a l'oreille d'un vrai musicien. Aucun d'eux ne peut réellement saisir la beauté des chants. Aucun d'eux ne peut être accepté comme juge de mon talent. Cette fête n'était qu'une mascarade. Une facétie de plus que l'Ombre m'impose. Je n'étais qu'un pantin. Et ils n'étaient venus que pour faire bonne figure. Moi. Le puissant mage conquérant, Empereur de Valice, nommé d’après le dieu Destruction Nashar, héritier de pouvoirs immenses, volés à un démon. Moi. Pantin.
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Je ne suis pas à blâmer pour le massacre de Gacendre. Ils ont attaqué les premiers, mes soldats ont répliqué. Certes, l’envoi de toute une garnison armée, les vols, viols, massacres et autres actes de barbarie furent peut-être une réponse légèrement exagérée à la simple rixe entre soldats. Mais le message était passé. Une fois les terres cendrées recouvertes de sel, je déclarais la guerre à mon voisin. La paix sonnait à sa porte.
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L’exil. Loin des miens. Loin de tous. Mes instincts animaux peuvent s’exprimer librement ici. Je n’ai pas à me contrôler ici. Je suis libre ici. Et pourtant je brûle d’envie de finir ce que j’ai commencé. Je brûle d’envie d’avoir leur vie. De vivre dans leur château d’or. De me venger de ma basse naissance. Mais avec ces pulsions incontrôlables, je n’y arriverai pas. Il me faut du temps. Du temps que je trouverai ici.
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Pauvre pays. Tellement terrifiés par ce que j’ai fait aux miens qu’ils ne désirent pas tenter une invasion. Pourtant, ils m’ont aidé à m’installer sur le trône. Ils savent que nos défenses sont vulnérables, maintenant et pour quelques années encore. Pourtant, personne ne bouge. Le calme total. Mes espions me rapportent même que des aides me seront bientôt envoyées. Comme si mon arrivée à la tête de Valice avait été orchestrée à l’avance. Comme si j'avais créé un nouveau terrain de jeu pour des forces inconnues. Je n’aime pas cela.
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Le jour se lève. Chacun d’entre eux était mort. L’Ombre, et toutes ses branches expatriées, n’étaient plus. Nous avions ramené la lumière sur ce monde. Nous, les dirigeants des nations les plus puissantes, pouvions maintenant gouverner en paix. La paix.
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Lorsque la mélodie des larmes de mes soeurs s'apaisa, je me rendis prêt d’elle. Je dépose un dernier baiser sur son front, fier de pouvoir lui offrir une autre finalité que la fosse commune. En bon fils, j’organisai des funérailles somptueuses. En bon monarque, je m'assurai que le continent entier porta le deuil.
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Ils me donnaient des directives. Des astuces de régence, comme ils les appelaient. Je pensai les ennuis terminés. Je pensai avoir tué les dernières oppositions à ma révolution. Mais je pensais faussement. Car je n’étais qu’une poupée, et chacune de mes victoires était en réalité un fil qui s’enfonçait dans ma chair. Un fil me reliant à l'Ombre. Un fil faisant de moi un esclave.
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Un cri bestial accompagne mon départ. Cela ressemblait plus à des insultes qu’à des au revoir. Je comprends. C’est pour cela que je ne l’ai pas prévenu. Mettre fin à mon exil. Braver la mer. Oublier. Traverser la brume. Ne plus y penser. Retrouver Valice. Elle. Conquérir. Douleur.
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Mère est morte. Née à même le sol, son cadavre reposait dans des draps de velours. Son visage, d’une douce blancheur, me rappelle les fois où je me réveillais trop tôt et où je l'observais en l'attendant. Ses rides et cicatrices, elles, font bouillir mon sang. Elle avait vécu une vie misérable, mais l’avait terminé siégeant dans le château où vivaient nombre de ses clients.
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Démon. Je ne plierais pas face à tes bas instincts. Il y a des limites que même moi je ne franchirai pas. Démon. Tes pouvoirs sont à moi tant que je t’offre des vies. Alors, laisse-moi t’en donner. Démon. Prends ces nouveau-nés qui naîtront éternellement. Démon. Tu es à moi à présent.
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Il y a des terres par delà les mers. Je le sais, j’y ai déjà mis les pieds. Mais je n’ai aucun désir d’aller les conquérir. Pas après la promesse que je lui ai faite. Je sais que si je la brisais, je briserais son coeur, ce qui briserait le mien. Et nous sommes du même bois. Si nous étions chacun l'essence de la peine de l’autre, nous nous entretuerions dans une explosion détonante. Et le monde brûlerait à la lueur de ce feu ardant.
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Tout cela en vaut-il la peine ? Le monde entier pourrait être sous mon contrôle. Je pourrais tout vouloir, je serais en droit de tout exiger. Mais pourquoi le ferais-je ? Ne puis-je pas me satisfaire de ce que j'ai déjà ? Pourquoi cet appétit pour la conquête ? Pourquoi cette faim pour la possession ? Pourquoi cette famine pour l’appropriation ? Ce sentiment, ma défunte mère m’en avait parlé une fois. À trop dormir dans le velours, le coton finit par brûler la peau. Me serais-je assoupi dans le pouvoir trop longtemps ?
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Cela suffit. Mon sang ne sera pas une marchandise à la disposition de l'Ombre. Aucune d'entre elles ne sera mariée de force, même si cela fait perdre des alliances. Ces chiens. Ils mourront de ma main.
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L’Ombre. Une puissante organisation. Inconnue de tous. Sauf des dirigeants. C’était eux. C’était eux qui m’avaient placé sur le trône. Je ne pouvais pas le croire. Je n’y crois encore qu’à moitié. Mais ces souillons m’avaient délibérément facilité la tâche. Les preuves étaient là. Je ne pouvais faire autrement. Ils avaient déjà écrit la pièce, et je l’ai joué à la perfection, sans même m’en rendre compte. J’avais été un pion, me croyant roi. L'échec était si cuisant, que j’ai failli reprendre le mat pour la revoir. Mais je n’étais pas homme à m’avouer vaincu si facilement.
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Le monde est à mes pieds. Plus personne sur ce continent ne peut s’opposer à moi. Je me suis paru des artéfacts les plus puissants, des sorts les plus mortels et des protections les plus féroces. L’immortalité me tend les bras. Mais, dois-je m’en saisir ?
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Beaucoup de mort. La maladie touche mes semblables. Pas moi. Tant de désolations. Tant de disparition. Beaucoup sont morts. Du sang, de la faiblesse, l’arrêt du coeur. Une diffusion rapide. Pas de remède. Beaucoup étaient morts. Un Empereur tout puissant, mais démuni, observant les hivers emporter son peuple. Une demande d’aide, envoyée aux cieux. Une réponse. Un nouvel espoir. HOPE.